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Abracadabra!

Dany Lefebvre

Abracadabra

Ou comment j’ai survécu à la pensée magique.

Rien ne détruit plus rapidement le mythe de la pensée magique que d’être en couple avec une personne dépressive. On a beau souhaiter quelque chose de toutes ses forces, l’immensité de notre désir n’a que très peu d’impact sur le résultat. Je me suis immédiatement rendu compte de l’inutilité des « ça va aller mieux demain » et des « ça va passer ». Tout comme j’ai vite été confronté à l’inefficacité des « si tu bouges un peu, ça va t’aider ». Il serait si facile de n’avoir qu’à souhaiter que la tourmente passe pour revenir au beau temps.

Malheureusement, il n’existe aucune solution rapide. Le maelstrom doit passer à son rythme et nous ne pouvons qu’espérer que les dégâts ne soient pas trop grands et que les dommages ne soient pas permanents.

La dépression est un long hiver, avec son lot de tempêtes, ses précipitations, ses accumulations, ses bourrasques, ses froids intenses et parfois même ses journées magnifiques.

Et bien qu’il y ait quelques accalmies momentanées, les nuages sombres ne sont jamais bien loin. Une percée de soleil après une tempête de novembre n’annonce pas la fin de l’hiver, seulement un répit.

Comme je me suis senti désemparé. Peu importe ce que je faisais, je n’avais aucun contrôle sur la situation. J’avais même l’impression que mon amour, bien qu’inconditionnel, était insuffisant. Il réussissait parfois à faire oublier la douleur, mais la blessure était si profonde et le chemin de la guérison semblait sans fin. La souffrance était toujours en attente et de voir ainsi l’être que j’aimais le plus au monde souffrir autant me laissait seul devant l’infinitude de mon impuissance. Ma naïveté aurait tellement aimé la soulager sur le champ. Toute cette détresse était grandement contagieuse et se transformait en affliction par procuration, bien que je vivais la situation d’une façon complètement différente.

J’ai vécu seul de nombreuses années, avant de rencontrer Claudia. J’y ai appris à gérer simultanément une multitude d’aspects de la vie quotidienne, à résoudre des problèmes techniques à longueur de journée, à administrer mes finances et à me bâtir une vie, mais rien ne m’avait préparé à cette épreuve. Je suis arrivé, sans qu’on me crie gare, à toute vitesse devant un mur qui peut sembler abstrait, mais qui était très concret. Le choc m’a coupé le souffle.

Ce n’était pourtant pas moi qui souffrais d’une dépression, mais je semblais en subir toutes les conséquences.

J’étais convaincu que je n’avais pas le droit de souffrir, je ne pouvais même pas me permettre d’être vulnérable. Dans mon entêtement j’avais le sentiment que je devais porter, sur mes épaules seules, la responsabilité du quotidien. Si quelque chose m’était arrivé, plus un sou ne serait rentré dans les coffres. Si j’avais été contraint de m’arrêter, tout se serait écroulé. L’échec n’était donc pas une option. Je ne pouvais même pas penser à prendre un congé, peu importe mon degré d’épuisement. Il y avait trop de choses à assurer pour maintenir l’intégrité de notre foyer. Je devais continuer à faire tout ce qui était en mon pouvoir afin de trouver la solution. Demander de l’aide ne m’a même pas effleuré l’esprit. C’était un fardeau qui ne me laissait aucun répit et je fonçais tête baissée vers un autre mur que j’allais heurter de plein fouet.

Car au-delà de l’anxiété, il y avait la colère envers la situation et mon incapacité à trouver une solution. Mais surtout, la chose qui venait me chercher le plus était le sentiment que ma femme se coupait de moi et se cachait sous les couvertures. J’étais devenu le témoin impuissant de Beddin’. Tous les matins, je quittais pour le travail, laissant Claudia dans le lit. La fin de journée venue, je revenais à la maison pour constater qu’elle gisait encore sous les draps, vêtue du même pyjama, comme si la chambre était figée dans le temps.  Il lui arrivait parfois de se lever, comme si elle émergeait d’un long coma et momentanément la vie semblait revenir à la normale. Puis sans prévenir, elle sombrait à nouveau en hibernation. C’était difficile à accepter. Toute ma jeunesse, mon père m’a forcé hors du lit le matin. « Un lit, c’est fait pour dormir la nuit, ce n’est pas pour le plaisir des paresseux ». Alors une partie de moi était confrontée, à chacun de mes retours. Même si je savais que ce n’était pas volontaire de sa part, je ressentais tout de même à plein volume la déception et la frustration.

Comme elle se coupait du monde, rester en contact avec elle m’a demandé de gros efforts. Traverser les barrières, déjouer les protections et ne pas lâcher le morceau, car je savais que derrière ces barricades se trouvait la femme que j’avais épousée. Heureusement, notre relation a toujours été basée sur la vérité. On ne se ment jamais et on exprime toujours ce que l’on ressent. Nous ne laissons rien en suspens et nous n’accumulons rien, les obstacles sont adressés à mesure qu’ils se présentent. Le dire tout simplement comme ça peut donner l’impression que c’est facile, mais c’est beaucoup de travail. C’est parfois ardu, délicat, troublant, inconfortable, voire même douloureux, mais notre couple en sort toujours gagnant. Je suis tellement reconnaissant de son écoute, malgré la souffrance qui l’accablait.  J’ai donc eu la chance de pouvoir parler librement de ma colère et en décortiquer les moindres détails. Au fil de nos conversations, j’ai compris que ma colère était normale et qu’elle était l’expression mon impuissance.

Pouvoir en discuter si ouvertement a grandement contribué à réduire l’emprise de la colère et être libéré de ce poids a marqué pour moi le début d’une nouvelle phase.

J’ai finalement senti que je n’avais nul autre choix que d’accepter la douleur et surtout je devais lâcher prise. Il suffisait simplement que je sois là, avec tout mon amour, tout mon cœur, tout bonnement à l’écoute. Veiller aux besoins de ma femme, mais aussi aux miens. Je ne devais pas essayer de contrôler quoi que ce soit. De toute façon, le mot final ne me revenait pas. Tout ce que je pouvais faire, c’était de rester calme et de préserver un climat serein, propice à la guérison, peu importe la durée de celle-ci. Être présent pour elle ainsi que pour moi et respirer.

5 Commentaires

  1. Gilles Pagé

    Félicitations pour ce beau texte, très touchant et on ne peut arriver à ce résultat sans vécu
    Merci de nous faire comprendre cette douleur

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  2. Sylvie Dusablon

    Être aux côtés de notre amoureux avec cette douleur d’impuissance! Ça se vit et ça nous fait prendre conscience de l’immensité du grand Amour présent possible. Ça fait du bien de te lire!

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  3. Annick

    Très touchant et si transparent et authentique. Merci de ce témoignage nécessaire et supportant.

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  4. Olivier

    Très beau texte Dany. Merci de t’ouvrir à nous comme ça. Très belle résilience. Je vous envoie plein d’amour!!

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  5. Annie

    Merci de ton partage Dany. Très touchant.

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